- Science-Fiction, Planet-Opera

Les Profondeurs de Vénus, de Derek Künsken

Genre : Science-Fiction.
Première édition : 2023 en VF (The house of Styx, 2020 en VO).
Présentation de l’éditeur : « Vénus. Seconde planète du Système solaire.
Des conditions de vie effroyables. En surface, une pression équivalente à une plongée à 900 mètres sous le niveau de la mer et une température infernale de 462°celsius. En altitude : une atmosphère composée en grande partie de nuages d’acide sulfurique qui rongent tout. Une seule erreur et vous êtes morts.
Cent familles sont venues du Québec afin de coloniser Vénus, où elles luttent au quotidien pour gagner leur vie. L’une d’elles vit en marge : les d’Aquilon. Ils travaillent dans les profondeurs de Vénus où ils viennent de faire la plus grande découverte de l’Histoire de l’humanité. Pourront-ils la garder ou devront-ils la céder aux banques qui ont rendu possible la colonisation de la planète ?
« 

Ma chronique :

4.000 descendants de Québécois vivent sur Vénus : la plupart résident en haut de l’atmosphère, dans des habitats protégés surplombant les nuages toxiques ; et plus bas naviguent les « coureurs des vents », qui, à l’image des coureurs des bois du XVIIe siècle, connaissent des conditions de vie rudes et font commerce avec ceux d’en haut, y compris via des trafics qui échappaient aux autorités. Dans des chalutiers — sorte d’immenses plantes — modifiés par bio-ingénierie, entourés par une atmosphère à haute pression composée de souffre et de dioxyde de carbone avec dans des températures dignes de l’enfer, ces derniers vivent, ou plutôt survivent, grâce aux récoltes de métaux rejetés par les vapeurs des volcans qu’ils revendent.

Chez les Aquilon, voici le père, Georges-Etienne, homme dur à la tâche qui, 28 ans plus tôt, a refusé avec sa femme l’avortement imposé par la femme médecin de la colonie, qui jugeait qu’on ne va pas soigner et entretenir un trisomique alors qu’on manque de tout. Le couple, et les enfants nés plus tard, ont été de facto condamnés à une vie à la marge d’une société déjà âpre, et sont devenus des coureurs des vents. Et cette femme médecin est devenue la présidente, n’hésitant pas à poursuivre la politique d’endettement massif auprès de la banque Pallas… là aussi, le parallèle avec l’histoire ne manque pas, si on pense aux Indiens condamnés à travailler toute leur vie pour rembourser les dettes acquises auprès des commerçants colons.

Dans cette situation générant de la rancœur, le père Georges-Etienne et un de ses fils font une extraordinaire découverte dans le sol de Vénus, sol lui-même quasiment inatteignable en raison de la pression et des températures. Une découverte qui changerait le destin de Vénus, et par ricochet celui des Aquilon.

Mais la famille sait qu’elle serait spoliée par le gouvernement, dans un système légal présenté comme collectiviste et où les autorités peuvent réquisitionner ce qu’elles veulent pour « le bien de tous ». Les Aquilon refusent. Les Aquilon n’ont pas pardonné l’ordre de se débarrasser du fœtus trisomique, devenu un Jean-Eudes auquel tout le monde est attaché et qui essaie de prendre sa part des travaux. Les Aquilon n’ont pas pardonné non plus d’être contraint de vivre à l’écart, dans un mode de vie qui a provoqué la mort de la mère, de la sœur et du beau-frère. Les Aquilon — et surtout le père — estiment mériter enfin une récompense pour tous ces sacrifices. Et quand la présidente fait voter un ordre qui dépossède la famille d’un de ses biens dans les nuages, les Aquilon se rebellent : le collectivisme montre ses limites avec des travailleurs durs à la tâche qui ont sué pour grappiller de maigres possessions, et qui jugent que les autorités gaspillent les ressources de la colonie et livrent la planète à la Banque Pallas.

L’un des héros de ce roman est la planète elle-même : fascinante pour ceux qui y sont nés, attirante et dangereuse, elle prend par surprise ses victimes. Dans les hauteurs des nuages, quelques illuminés s’enfoncent dans un culte mortifère à la planète ; tandis qu’en bas les coureurs des vents luttent pour leur survie au milieu des tempêtes de dioxyde de carbone et des pluies d’acides sulfuriques qui brûlent leur corps quand les combinaisons se déchirent. Pour autant ces derniers n’imaginent pas vivre ailleurs : les colons nés sur place n’ont qu’une vague idée de la Terre, et quoi qu’il en soit ils n’auraient pas les moyens de partir.

Les protagonistes, à savoir principalement les Aquilon, ont tous une personnalité intéressante voire forte, et qui évolue au fil des événements. Tantôt avec tendresse, tantôt avec rudesse, l’auteur brosse des caractères forgés par les obstacles, les espoirs et des déceptions. L’émotion est aussi présente dans ce roman, et il en profite pour décortiquer une famille éprouvée, avec des relations complexes construites au fil des années et des combats de chacun. Il décrit notamment la vie d’un adulte trisomique protégé par les siens, ainsi qu’un adolescent qui recherche son identité de genre tout en craignant la réaction de son entourage. Mais rien de tout cela n’empêche les Aquilon de naviguer dans les tempêtes de Vénus, et pas seulement à bord de leur chalutier : leurs prouesses, quand ils enfilent leur combinaison et leurs ailes pour littéralement voler dans les nuages en utilisant les courants, offrent de belles pages qui rapprochent le récit d’un roman d’aventures en terres hostiles.

Ajoutons que l’action devient très prenante quand les Aquilon imaginent un plan pour protéger leur découverte, car si le gouvernement est pris dans les griffes de la Banque Pallas et ne peut pas laisser des colons hors du système, Vénus elle-même peut être cruelle avec des dangers tapis dans chaque tempête…

Ce roman se déroule 250 ans avant un diptyque (Le magicien quantique et Le jardin quantique) : à la question « peut-on le lire sans connaître les autres romans ? », je vous réponds « oui ! », puisque moi non plus je n’ai pas (encore) lu les autres romans, et cela ne m’a pas empêchée de beaucoup l’apprécier.

À la fin de ce roman, une page est tournée, et on devine assez aisément qu’une suite est possible. La VO est sortie récemment, espérons une traduction rapide.

Autres chroniques dans la blogosphère : Apophis (VO), Gromovar, FeydRautha – l’épaule d’Orion, le nocher des livres, Tachan, Yogo – Le Maki, Célinedanaë – aupaysdescavetrolls, Les lectures du Panda,

3 réflexions au sujet de “Les Profondeurs de Vénus, de Derek Künsken”

Laisser un commentaire