- Science-Fiction, Dystopie

Sous la lune brisée, d’Anne-Claire Doly

Genre : Science-Fiction.
Première édition : 2022.
Présentation de l’éditeur : « Au cœur de la tourmente insurrectionnelle. 
Sous les fragments jumeaux de la lune brisée, la République des Neuf Cités tente de survivre sur un continent convalescent, menacée par la corruption grandissante du pouvoir et une guerre aux frontières qui ébranlent le régime des Gardiens. 
Des usines métallurgiques où la gronde est plus forte chaque jour aux montagnes ocres où se massent les réfugiés, chacun devra faire face à ses choix, ses secrets et ses désirs pour échapper au chaos, et tenter de dessiner un autre avenir. 
Pour son premier roman, Anne-Claire Doly nous plonge dans les dernières heures d’une cité-État gangrénée par la violence et les faux-semblants. 
Sous la lune brisée est une fresque ample et ambitieuse, un roman bouleversant qui vous emportera par son souffle épique de la première à la dernière page. »

Ma chronique :

263 ans après une terrible catastrophe : la République des Neuf Cités a établi sur le continent une société rigide constituée de trois classes fermées. Le premier cercle est celui des Gardiens choisis parmi quelques familles. Le deuxième cercle fournit les membres du Faisceau, jeunes hommes entraînés qui n’hésitent pas à tuer pour maintenir l’ordre et la paix ou pour… pas grand-chose. Et enfin, l’immense cercle des Laborieux, à l’espérance de vie faible à cause de travaux harassants (la dimension politique du roman transparaît assez vite dans le roman, alors qu’elle n’est pas suggérée dans la présentation de l’éditeur).

On reconnaît ici les « trois ordres » de nos cours d’Histoire : les religieux, les guerriers et les travailleurs. Car les Gardiens font respecter un modèle de société et une vision du monde décrite dans le Livre (on est presque dans une religion du Livre). À propos de référence, on notera que baptiser les forces de l’ordre « Faisceau » n’est pas anodin, puisque c’est l’origine du mot fascisme : la société de cette dystopie a effectivement une dimension fasciste. La vie des Laborieux importe peu et ceux-ci, ainsi que tous ceux qui menacent le système, sont aisément éliminés. Beaucoup de membres du Faisceau méprisent les Gardiens et préfèrent ouvertement la force. Le tableau ne serait pas complet sans les pérégrins, clandestin arrivant illégalement du sud, dont le modèle sur nos migrants va jusqu’à leur ethnie. Chassés de leurs terres, ils sont poursuivis par les membres du Faisceau. Plus largement, le racisme des habitants de la République est assumé. La dimension politique de ce roman est là aussi évidente.

Au sein des deux premiers cercles, les relations intimes et la procréation sont contrôlées via des cérémonies mensuelles, car les sentiments sont interdits et — officiellement — les couples sont formés sur des critères génétiques. Mais les puissants corrompent le système en versant des pots-de-vin pour avoir les jeunes femmes qu’ils préfèrent. Le thème du sexe est exploité selon différentes facettes : contraint et en vue de la seule procréation, ou imposé par des hommes influents dans ce qui apparaît comme des viols (contre des femmes ou des hommes), ou encore interdit avec les prostituées de luxe, ou enfin désiré et libérateur.

Le roman va mettre en scène trois protagonistes narrateurs : Aulis, jeune fils d’une courtisane qui a osé rejeter le système, qui travaille dans une fonderie, Hadrian, membre des forces de l’ordre et négociant avec sa conscience, et Ariane, femme médecin du premier cercle qui essaie de pactiser avec les règles de sa classe.

Ce qui frappe dès les premières pages est la qualité de la prose : l’auteure aime explorer, montrer, suggérer, scruter des âmes de ses personnages, ou détailler les actions et leurs conséquences sur les êtres. En soi, c’est très bien, mais il faut souligner que dans cette ambiance très sombre, presque désespérée, creuser jusqu’au fond des pensées amères ou des événements funestes finit par être âpre, et il est impossible de dévorer ce roman d’une traite tant on se demande où est l’espoir. Dans cette dystopie rude, fouiller l’âme des êtres et expliquer en détail quelques journées dramatiques, au moment où la société peut basculer, c’est prendre le risque d’enfoncer le lecteur dans une certaine noirceur. Il faut apprécier la plume de l’auteure, qui est très travaillée, mais l’auteure prend (beaucoup) son temps. Il est probable qu’une partie du lectorat peine.

Les trois protagonistes sont une réussite du roman : trois personnages dans le système mais aspirants à autre chose, un peu à la marge, dans un monde où les désirs et les plaisirs sont étouffés. Des germes de révolte venant de différentes couches de la société changeront leur destin et surtout les feront douter (au moins pour les deux adultes).

En conclusion : une dystopie très sombre, avec une écriture littéraire qui prend (beaucoup) son temps pour appuyer sur la noirceur et une dimension politique prononcée. Il n’en reste pas moins que le roman est marquant.

Je remercie les éditions Mnémos et le label Mu pour l’envoi de ce livre.

Autres chroniques dans la blogosphère : Tachan,

8 réflexions au sujet de “Sous la lune brisée, d’Anne-Claire Doly”

  1. Il me tentait bien, parce que Mü. Tentait, parce que depuis les premiers retours, il a surtout l’air effrayant et très particulier. Ça aurait quand même pu se tenter si sa taille était raisonnable, mais vu le pavé que c’est… 😅

    Aimé par 1 personne

  2. Le bouquin m’intéresse beaucoup, je l’ai même acheté la semaine dernière. Du coup ça fait plaisir de voir une chronique un peu plus réjouie sur ce titre que celles que j’ai pu lire jusqu’à présent. Merci de ton retour !

    Aimé par 1 personne

  3. Ta chro accroche et tente. Le propos du roman semble délibérément et profondément dystopique, il parait en contenir tous les marqueurs habituels (les castes, les restrictions et obligations comme allant de soi …). J’y parie des trajectoires de vie qui pourraient m’intéresser.

    Aimé par 1 personne

  4. Je voulais le prendre aux Imaginales quand j’ai vu la brique ! Je me suis dit que ça allait être coton dans la valise…
    Et puis c’est vrai que les retours pointant son atmosphère très sombre, associée à la longueur du récit, m’ont convaincue de le lire, mais aussi de le garder pour le moment propice. Ta chronique rejoint l’idée que je me faisais de ce roman, et me convainc que cela pourrait me plaire, en tout cas.
    Merci pour ton retour circonstancié !

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire