- Science-Fiction, Space-Opera

La Nuit du Faune, de Romain Lucazeau 

Genre : Science-Fiction.
Première édition : 2021.
Présentation de l’éditeur : « Au sommet d’une montagne vit une petite fille nommée Astrée, ayant pour seule compagnie de vieilles machines silencieuses. Un après-midi, elle est dérangée par l’apparition inopinée d’un faune, en quête de gloire et de savoir. Mais sous son apparence d’enfant, Astrée est en réalité une très ancienne créature, dernière représentante d’un peuple disparu, aux pouvoirs considérables.
Le faune veut appréhender le destin qui attend sa race primitive. Astrée, pour sa part, est consumée d’un mortel ennui, face à un cosmos que sa science a privé de toute profondeur et de toute poésie.
À la nuit tombée, tous deux entreprennent un voyage intersidéral, du Système solaire jusqu’au trou noir central de la Voie Lactée, et plus loin encore, à la rencontre de civilisations et de formes de vies inimaginables. »

Ma chronique :

C’est toujours avec appréhension que je commence un livre qui a déclenché un déferlement de critiques dithyrambiques lors de sa sortie : les commentaires des blogueurs engendrent de telles attentes (en ce qui me concerne) qu’elles sont souvent déçues. Alors j’ai patienté quelques mois que la vague reflue un peu, en espérant ainsi mieux apprécier ce roman qui s’écarte des sentiers battus.

(à noter, en hors sujet : la première fois que j’ai lu le titre, l’année dernière, j’ai pensé à un satyre (*). J’ai imaginé un être lubrique mi-homme mi-bouc, guettant sa proie, une bergère isolée. Caché derrière un arbre de la Grèce antique, il se préparait à ensorceler sa victime en jouant avec une flûte de pan. Et quand j’ai vu dans les commentaires que le premier personnage du livre était une petite fille, j’ai été très perplexe… Mais j’ai vite compris qu’il s’agissait ici d’un gentil faune !
(*) après quelques recherches, il s’avère que le faune est bien l’équivalent romain du satyre grec. Je n’étais pas très loin).

Comment présenter ce roman ? À la fois conte philosophique, space opera et œuvre de hard SF, le texte fourmille de références littéraires et d’allégories. Sa taille modeste (moins de 300 pages) est inversement proportionnelle à sa densité.

Astrée est une petite fille en sa montagne, isolée depuis des millions d’années, et dernière représentante de son espèce. Un beau jour, un faune, membre d’une jeune espèce à l’aube de la civilisation (soit l’exact opposé d’Astrée) grimpe la montagne pour rencontrer ce qu’il croit être une divinité : il veut le savoir, car il croit que le savoir mène au pouvoir. Astrée s’empresse de balayer ses espoirs : la connaissance totale annihile le désir. Elle lui explique posément le cycle de l’évolution : la race des faunes, comme sa propre race, est condamnée à terme. Mais Polémas — c’est ainsi qu’elle a baptisé son visiteur — suscite son intérêt, elle qui ne connaissait plus la joie et qui se montre ravie à la perspective d’un changement. Elle décide de l’entraîner dans un voyage spatial, d’abord au sein du système solaire, puis au-delà, à la rencontre d’autres espèces et d’autres civilisations, pour lui montrer le devenir de celles-ci. Mais même Astrée, convaincue de tout savoir, en apprendra plus qu’elle ne se l’imaginait.

Servi par un texte soigné, de nombreuses références littéraires, et un sens du wordbuilding épatant, l’auteur ne se contente pas de nous faire voyager à travers l’univers ; il explore les théories physiques et astrophysiques — toujours présentées avec poésie — pour concevoir un « méta-cycle » de l’évolution des espèces, dépassant largement les limites du biologique. Les derniers chapitres offrent des perspectives fascinantes sur l’univers, mais impossible d’en parler sans en dévoiler trop.

Le roman sort clairement du cadre des histoires typiques de la science-fiction, il est plutôt un conte hors-norme, prétexte à réflexion. L’auteur nous propose sa vision de l’opposition entre la sagesse des anciens et l’envie de vivre des plus jeunes, ou encore — et surtout — son interprétation de l’entropie habituellement présentée comme inévitable. On est ici très loin des récits désespérants publiés sur le sujet, et l’intrigue réalise un saut qualitatif qui positionne le texte très au-dessus de la production sciencefictive commune.

La clef est là : l’auteur s’inscrit dans la lignée de ces grands penseurs d’autrefois, qui maîtrisaient à la fois les disciplines scientifiques les plus pointues et les humanités les plus exigeantes. Il nous avait déjà démontré, avec son précédent roman Latium, que la confrontation entre ces savoirs était fertile ; il continue avec La Nuit du Faune à nous offrir une science-fiction ambitieuse, accessible, philosophique, scientifique et poétique… sans négliger l’imaginaire.

Quand on le referme, on sait déjà qu’on le relira, un jour.

Autres chroniques dans la blogosphère : Apophis, Le Chien critique, Gromovar, FeydRautha, Yogo, le nocher des livres, le Chroniqueur, Just A Word, Lorhkan, Célinedanaë, Elwyn, Tigger Lilly, Lhisbey, Albédo / Lutin,

10 réflexions au sujet de “La Nuit du Faune, de Romain Lucazeau ”

  1. « un livre qui a déclenché un déferlement de critiques dithyrambiques lors de sa sortie » : j’ai aussi le souvenir de lecteurices n’ayant pas du tout apprécié, ça a l’air vraiment tout ou rien ce livre – et je n’irai pas vérifier que je serais sûrement dans le camp des « rien », surtout quand tu fais le lien avec « Latium ». 😅

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    1. C’est vrai que certains lecteurs ont écrit qu’ils sont passé à côté (comme moi je peux passer à côté d’autres romans).
      Et effectivement, si tu n’as pas apprécié Latium, tu auras du mal avec celui-là 😉

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    1. Les deux sont assez différents. J’avais commencé par Latium, qui est excellent. Attention : c’est un pavé (2 gros tomes), et parfois il nécessite de l’attention. Mais la lecture est enthousiasmante.
      Cependant, tu peux tout-à-fait envisager de lire en premier la Nuit du Faune, beaucoup plus court. Ça dépend un peu du temps que tu as devant toi.

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  2. Jusqu’ici, j’avais une crainte : ne RIEN comprendre du tout, et du coup passer à côté. Ah, tiens, ça fait deux en fait.
    Bref, tu vois, comme 1+1 = 2 c’est pas acquis pour moi, je m’interroge sur mes capacités intellectuelles pour me plonger dans cette œuvre… !
    Cela dit, comme en ce moment mes lectures m’ennuient par un manque de profondeur et d’aboutissement assez flagrant, je me dis que celui-ci me tend les bras…

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